Lettre de Giverny

Lettre de Giverny , juin 2013.

Nos artistes en herbe, tout juste diplômés en C.A.P. d’ébénisterie, se lancent à la découverte d’un petit paradis où l’art du jardin est mêlé à une savante conception graphique … « Décrire et apprécier un lieu » en Français.

Voici une façon agréable , à l’image des deux années que nous avons passées ensemble, de quitter nos élèves de terminale en leur témoignant une dernière fois respect, amitié et reconnaissance .

 « Je suis dans le ravissement. Giverny est un pays splendide pour moi ». Ainsi s’exprimait Monet en découvrant son havre de verdure et de fleurs à l’état d’ébauche. C’est bien la même la même sensation qui nous subjugue lorsque , plus d’un siècle plus tard , nous pénétrons dans l’enceinte où fleurit autrefois la quintessence de son art . L’espace qui s’offre à notre vue a été divisé en deux : il s’agit en premier d’un clos normand conçu « à la française ». Une allée principale et, de part et d’autre, plusieurs autres, latérales. La grande allée s’égrène en arceaux où poussent des rosiers grimpants ; ceux-ci forment des longs tunnels de verdure. A côté , des capucines grimpantes ou « tapissantes » envahissent le sol en autant de bandes parallèles.

Sous nos yeux éblouis se mêlent ainsi plantes grimpantes , annuelles et vivaces. Cette combinaison si singulière confère toujours à l’ensemble son aspect impressionniste , composé d’ innombrables empreintes de couleurs et de lumières qu’il faut maintenir , d’un printemps à l ’ autre , en constante floraison. La seconde composante du lieu prolonge cet incroyable défi .

C’est bien à l’inspiration du maître que les jardiniers de la fondation qui porte son nom s’efforcent de rester fidèles. En particulier aussi à ce deuxième élan qui le saisit en 1893, quand , en songeant aux paysages des estampes japonaises qu’il affectionnait et collectionnait, Monet acheta le terrain voisin du clos normand , situé de autre côté de la voie de chemin de fer qui passait prés de chez lui. Au beau milieu de celui-ci , traversé par un petit cours d’ eau , le Ru, il fit creuser un premier bassin qu’il agrandit ensuite pour y former là un jardin d’eau . C’est dans cet étang naturaliste, passé à la postérité que se reflètent encore saules et nymphéas ainsi que le célèbre pont japonais connu dans le monde entier, le plus charmant , celui qu’il a si souvent peint. Cinq autres passerelles permettent toujours d’admirer l’inimitable jeu de lumière sur les eaux.

La vue est toujours aussi saisissante. Il ne manque plus aujourd’hui que l’instigateur de ce prodige, dont la silhouette légendaire , au chapeau de paille, semble hanter encore les lieux qui lui furent si familiers. L’effigie barbue de celui qui consacra le plus clair de son existence , pendant quarante ans, à représenter des vues de ces jardins et bassins, mais aussi de champs inoubliables, est omniprésente. C’est sous ce patronage illustre que se prolonge , puis s’achève notre voyage dans le temps scolaire qui se confond avec celui, suspendu, de l’artiste dans sa clarté ensoleillée.

Nos élèves nous demandent la permission d’ y déambuler seuls un long moment. Auriane Legrand , David Jacottin et Dominique Frion s’attardent dans les allées. Tieffing Coulibaly revient de son côté, méditatif. Juste le temps nécessaire pour Mélissa Delisse, Nicolas Vellard et moi de réaliser qu’ils sont désormais des amis émancipés . C’est l’étape ultime de notre chemin : la « réalisation de soi » , une autre séquence , capitale, qui figurait également dans leur programme.

Rémy Abbate